Review: Micro-label éditions

Jean-Michel Van Schouwburg à propos des éditions du Micro-label


Philippe Lemoine Sax Ténor 
Solo : Matière Première - Philippe Lemoine 
Duo : Deserteafication - Anil Eraslan & Philippe Lemoine 
Trio : Bow and Arrows - Michel Doneda Philippe Lemoine Simon Rose 

Reçu dans mon courrier ces trois CD’s de Philippe Lemoine inclus chacun dans une pochette « individuelle » en carton et ornée d’un dessin à l’encre de Chine de Cécile Picquot. Initiative originale, créative et sans label. Si ce n’est la mention du site de l’artiste Cécile Picquot www.cecilepicquot.fr . Les dessins de chaque pochette forment des territoires imaginaires, géographie de l’instinct, topologie dans l’espace et chacun d’eux font sans doute partie d’un ensemble dont nous ignorons les contours. Fiché à l’intérieur de l’étui en carton léger brun clair un papier rouge vif signale avec l’indication Matière Première qu’il s’agit bien de l’album solo de Philippe Lemoine. Chacun de ces dyptiques ont été dessinés à l’encre à même la surface du papier cartonné. Des pièces uniques à 20 € pièces obtenues uniquement via le créateur, Philippe Lemoine. À mon avis, du point de vue de la scène improvisée, ces trois albums ainsi produits incarnent l’esprit même de cette musique. Remarquable saxophoniste ténor, Philippe Lemoine travaille le son, le souffle, les phrasés, l’articulation, les effets de timbre les plus délicats ou, parfois quand le besoin se fait sentir, des outrances quasi-expressionnistes, des inflexions lyriques ou des motifs abstraits. Ce bagage musical étendu, cette Matière Première complexe, subtile et qui vient droit du cœur, constitue le matériau d’une recherche-dérive intensive d’un parcours vivant au creux de l’instant. Une fois étalé dans le temps et transmis via son compact, l’auditeur peut se délecter d’une nourriture musicale substantielle, florissante, à la quelle on peut revenir sans se lasser. Il y a tant de tours, de détours, de recoins, d’ombre, de lumière et de clair-obscur qu’on mesure au fur et à mesure de l’écoute, quelle belle merveille est parvenue dans nos mains. D’un point de vue analytique, si la démarche de Philippe est profondément intime et personnelle, et sincère entre toutes, on dira qu’il n’a pas un style « distinctif », clairement défini qui fait qu’on reconnaît immédiatement (Steve Lacy, Evan Parker, Roscoe Mitchell, Lol Coxhill). Philippe maintient une excellente justesse au sax ténor et ne s’aventure pas dans le microtonal et ces écarts infimes et expressifs dans les gammes « occidentales » par rapport aux notes précisément « justes », écarts qui forment la « voix », la marque de fabrique de ces illustres saxophonistes reconnaissables entre mille. Néanmoins, les alternances des pluralités de timbres, sonorités, effets et sa capacité à parler – chanter dans le bec en faisant résonner doucement la colonne d’air comme une voix d’outre-tombe font de Philippe Lemoine un sérieux client qu’on n’hésitera pas à inviter pour remplacer un éventuel collègue saxophoniste « solo » qui aurait fait défaut dans un festival. On pense au niveau musical des Urs Leimgruber, John Butcher, Michel Doneda, Daunik Lazro ou Joe McPhee. Qualité exceptionnelle !! 
D’ailleurs, si l’album solo vous effraie et que vous penchez plutôt pour les groupes, quoi de plus original , fascinant et mystérieux que ce trio de saxophones, Bows and Arrows dont c’est le deuxième enregistrement. Tous les possibles du souffle, scories, difractions, bruissements, vibrations graveleuses, méandres infinis, résonances magiques s’ouvrent à nos oreilles. Les sons tournoient, s’amalgament, s’enrichissent, s’égarent dans des zones imprévues, champs magnétiques de l’imagination. Le parfait exemple de l’improvisation collective dite non idiomatique qui échappe aux pronostics. Très fort et très beau. Le troisième opus « Deserteafication » est un superbe dialogue avec le brillant et chatoyant violoncelle de Anil Eraslan. Le violoncelle et le saxophone ténor conjugués est une magnifique occurrence instrumentale. On se souviendra des gigs de 1976/77 d’Ernst Reyseger et de Sean Bergin (R.I.P.). Leur périple en deux chapitres (1/ Flying Tea Leaves (butterflies invasion) 2/ Unexpectedly. Time Is over) transite par des territoires musicaux différents et complémentaires. Le spectre sonore du violoncelle d’Anil Eraslan est d’une grande richesse issue de la pratique classique et des traitements contemporains de la matière sonore. En s’écoutant mutuellement et par l’émulation de leurs imaginaires, les deux improvisateurs créent de magnifiques coïncidences, des correspondances poétiques par une multiplication sagement dosée de tous les éléments sonores et musicaux à leur disposition. Un travail mélodique s’établit dès les premiers instants pour se développer dans des extrapolations plus audacieuses qui s’insinuent comme un paysage impromptu. N’y manque pas l’intensité, l’émotion, une énergie renouvelée et une constante recherche à étendre les formes musicales jusqu’aux contorsions et crissements les plus abstraits. Trois albums d’une haute tenue musicale.

Leave a comment